Les 150 ans de la Commune de 1871

Publié le par frico-racing

Vers les 700 abonnés, pour ne rien rater, abonnez vous à mon blog (gratuit) newsletter en bas de page à droite...

 Les 150 ans de la Commune de 1871

Histoire

1871 : la Commune de Paris, pour une alternative économique et sociale

Par Gérard Vindt Alternatives Economiques n°410

Écrasée dans le sang, l’éphémère Commune, patriote, farouchement républicaine, aspirant à une démocratie directe, a aussi proposé une autre vision de la société et de l’économie.

Soixante-douze jours seulement, du 18 mars au 28 mai 1871, et pourtant ! La Commune de Paris, cent cinquante ans après, ne laisse toujours pas indifférent. Car si elle clôt le siècle des révolutions amorcé en 1789 en France, elle ouvre aussi des perspectives toujours d’actualité.

Une période troublée

L’insurrection parisienne naît de la situation politique troublée qui suit la chute du second Empire après la défaite de Sedan face aux Prussiens le 2 septembre 1870. Le 4 septembre, la population parisienne se mobilise pour proclamer la République à l’hôtel de ville. Mais Paris est bientôt assiégé par les Prussiens. Toutes les tentatives de contre-­attaques des Parisiens comme celles des armées levées en province par Gambetta échouent. Le gouvernement provisoire se résout à signer l’armistice le 28 janvier 1871. Les plus combatifs des Parisiens qui ont résisté au siège de la ville pendant quatre mois se sentent trahis, eux qui espéraient un sursaut patriotique à l’image de la France de 1792 qui s’était mobilisée pour défendre « la patrie en danger ».

Autre facteur de révolte : les élections législatives du 8 février 1871 devant permettre d’établir un gouvernement légal, issu du suffrage universel masculin en vigueur à l’époque, apte à négocier avec l’ennemi. Le pays, très majoritairement rural, vote massivement pour des candidats monarchistes partisans de la paix (400 élus !), contre 150 républicains. L’Assemblée désigne comme chef du gouvernement un orléaniste conservateur, partisan d’une monarchie constitutionnelle, Adolphe Thiers. Pour le Paris viscéralement républicain, à la trahison s’ajoute maintenant la menace d’un retour de la monarchie d’avant 1848. Les militants parisiens, des républi­cains modérés aux révolutionnaires socialistes ou anarchistes, s’imposent au sein de la garde nationale * , qui nomme un comité central.

Lorsque, le 18 mars, le gouvernement tente de reprendre les canons de la garde nationale parqués sur la butte Montmartre, c’est l’insurrection. Le gouvernement de Thiers quitte précipitamment Paris, passé aux mains des insurgés, pour Versailles. Le 26 mars, Paris élit un gouvernement communal de 79 membres, majoritairement issus des classes populaires et des courants révolutionnaires de gauche, des républicains jacobins, mais aussi des membres de l’Association internationale des travailleurs ou des syndicats ouvriers. La Commune est d’abord une insurrection politique, pour une république décentralisée et une démocratie directe où les représentants du peuple ont des mandats impératifs et sont révocables – une proposition politique qui n’est pas sans écho aujourd’hui.

C’est aussi, comme l’écrit l’historien Quentin Deluermoz, une « expression historique du possible » dans les domaines économiques et sociaux.

Mais d’abord, de quels moyens dispose la Commune pour mettre en œuvre ses projets dans ces domaines ? Le pouvoir a quelques moyens financiers. 6 millions de francs * ont été trouvés dans les ministères et à l’hôtel de ville, 2 millions proviennent de taxes perçues sur les cinq compagnies de chemin de fer, 26 millions sont perçus à l’octroi, cette douane municipale taxant les produits entrant dans la ville.

La Banque de France, auprès de laquelle la ville de Paris a un compte, lui verse un peu moins de 20 millions de francs. « On a estimé les dépenses de la Commune à 42 millions de francs », écrit l’historien spécialiste de la Commune Jacques Rougerie.

Le problème dans ces quelques semaines n’est pas tant le manque d’argent que l’absorption des trois quarts du budget par la défense contre les attaques du gouvernement installé à Versailles. Outre les dépenses militaires matérielles, il faut assurer la solde des gardes nationaux qui combattent, pensionner les blessés, les veuves, les orphelins…

Pour une propriété issue du travail

Plus que de moyens matériels, c’est en réalité de temps qu’a manqué la Commune pour mettre concrètement en place les politiques qu’elle a décidées. Car elle doit d’abord prendre des mesures d’urgence. Pour faire face à la détresse sociale liée au siège et à la guerre civile, elle organise des secours aux miséreux, décrète des remises des loyers échus, un moratoire des échéances des petits commerçants, réquisitionne des logements laissés vacants par des opposants à la Commune ayant fui à Versailles, restitue gratuitement des objets déposés par les plus pauvres au mont-de-piété.

Pour autant, la Commune ouvre des chemins qui seront pour beaucoup repris dans les décennies suivantes par la IIIe République ou s’inscriront dans les programmes des organisations socialistes et ouvrières.

Concernant la question de la propriété, d’abord. Les communards défendent la propriété issue du travail. Ils s’en prennent aux « spéculateurs » et aux « accapareurs » qui privent l’ouvrier d’une « juste propriété », dans une vision inspirée par Proudhon. Les communards défendent une société de petits producteurs propriétaires, et pour cause : à Paris, dans les années 1860, sur 100 000 patrons, 31 000 emploient de deux à dix salariés, 62 000 un seul ou aucun. Le peuple de Paris est d’abord un peuple de l’atelier et de la boutique. Mais les communards promeuvent aussi l’association de producteurs organisés en coopératives : ainsi réquisitionnent-ils les ateliers abandonnés par leurs patrons en vue de les confier en autogestion aux salariés ; faute de temps, dans la pratique, seul un atelier de fonderie sera géré de manière collective.

Un programme social-révolutionnaire

La commission du travail au sein de la Commune est à l’origine de plusieurs lois. Elle propose de supprimer le travail de nuit des ouvriers boulangers, interdit les retenues sur salaire qui sont monnaie courante pour des fautes bénignes supposées dans les ateliers et administrations. Elle décide le 5 avril la mise en place de bureaux municipaux d’arrondissement enregistrant offres et demandes d’emplois afin de permettre à l’ouvrier de se passer d’intermédiaires parasites pour trouver du travail.

Pour les marchés liés à la défense, la Commune veut donner systématiquement préférence aux associations ouvrières de tailleurs et cordonniers contre les gros fabricants tel Alexis Godillot, l’industriel de l’habillement et de la chaussure.

Côté service public, la Commune s’intéresse particulièrement à l’école. Dans le cadre de la séparation de l’Église et de l’État décrétée le 2 avril, l’enseignement laïc, gratuit et obligatoire est institué et, mi-mai, sont statués le doublement du traitement des instituteurs et l’égalité de celui des institutrices avec celui de leurs collègues masculins. Une commission spéciale est constituée pour l’enseignement des filles. La rénovation des programmes et des méthodes pédagogiques afin de mieux les adapter aux milieux populaires est dis­cutée avec la participation d’associations comme la Société de l’Éducation nouvelle, où militent de nombreuses femmes. Des chantiers ouverts par la Commune, certains aboutissent dans les décennies suivantes, d’autres restent inachevés. Mais un siècle et demi plus tard, le symbole qu’est cette tentative de révolution sociale reste toujours bien présent.

*Garde nationale : organisation du peuple en arme, initiée lors de la Révolution française, que les différents pouvoirs, au fil du XIXe siècle, s’efforcèrent de mettre à leur service.

**Millions de francs : l’équivalence avec les euros d’aujourd’hui est difficile. Le plus souvent est donnée une équivalence de 1 million de francs de 1871 à environ 4 millions d’euros d’aujourd’hui, compte tenu des variations monétaires dues à l’inflation. Mais ce million de francs 1871 vaut alors 300 000 fois le salaire ouvrier journalier (autour de 3 francs). Ce qui, aujourd’hui, avec un Smic quotidien d’environ 80 euros, équivaudrait à 24 millions d’euros. Le coefficient de conversion ne serait donc plus 4, mais 24…

Sources :
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article