Ils ont tué Jaurès, le centenaire
On n’a pas toujours les héritiers que l’on mérite. La pensée et l’action de Jean Jaurès ont connu des revendications plus ou moins absurdes...Comme celles de Sarkosy se sentant "héritier de Jaurés" du FN, qui par voie d’affiches, proclamait que le fondateur de L’Humanité aurait voté Front national. Aussi grotesque qu’indécent, car comme on le sait, le combattant pour la paix, contre la Grande boucherie (14/18) a été assassiné le 31 juillet 1914 par un étudiant chauffé à blanc par le poison nationaliste, fonds de commerce de la famille Le Pen. Mais ce sont aussi les tentatives de récupération d'un Hollande venu proclamer à Carmaux sous les huées que sa politique avait pour boussole de "suivre le cap de Jaurès" ou celle de Manuel Valls qui a sous-entendu que le député du Tarn aurait voté le pacte de responsabilité…
Deux ouvrages cernent la personnalité exceptionnelle du tribun socialiste assassiné il y a cent ans, à la veille de la Première Guerre mondiale.
Jean Jaurès avait une stature. Il était une statue vivante du socialisme français. Le tribun fut revolvérisé au Café du Croissant, le 31 juillet 1914, par le geste fou du bien nommé Raoul Villain. Le bruit mat de sa chute indiqua l'ampleur de la guerre qu'il redoutait :
Songez à ce que serait le désastre pour l'Europe: ce ne serait plus, comme dans les Balkans, une armée de trois cent mille hommes, mais quatre, cinq et six armées de deux millions d'hommes. Quel massacre, quelles ruines, quelle barbarie!
Deux ouvrages, dans cette année du centenaire, font le point sur cet homme dont on a perdu un peu la trace et l'esprit, au point qu'il a pu servir de référence à Nicolas Sarkozy. Peut-être parce que Jaurès n'est pas un système, c'est un exemple.
On ne peut expliquer autrement la place symbolique qu'il occupe dans l'histoire politique française, lui qui n'a jamais été ministre et qui n'a jamais eu d'autre pouvoir que celui d'enflammer le Parlement par son verbe, son humanisme et son socialisme un peu évangélique.
Ce normalien né à Castres, reçu troisième à l'agrégation de philosophie, ne semble avoir vécu que pour la République et pour défendre ses idées. Un homme sans histoire qui a marqué l'Histoire. Pas de maîtresses, pas de scandales. Il aimait simplement les gens, il les comprenait. Il aimait aussi son verbe et se laissait emporter par lui. Envoûté par ses phrases, il fascinait aussi ses ennemis.
Barrès voyait en lui «une locomotive puissante qui passe en emportant un chauffeur, deux si vous voulez, en sueur». Jaurès le savait. Il parlait sans notes pendant des heures. Un spectacle dans lequel il élevait son auditoire et mouillait la chemise, au sens propre. Quand il arrivait à la Chambre avec sa valise de linge de rechange, les députés savaient qu'ils n'allaient pas dormir. «Saint Jean à Pathos», soufflera Clemenceau à l'oreille de Briand...
Mais quelle fougue ! Quelle éloquence ! C'est lui qui faisait une pause, pour donner à ses collègues le temps de souffler un peu. Jaurès, c'est l'improvisation ultime, une mécanique d'imprécision qui se retrouve toujours là où elle voulait aller. Vers le peuple, avec «l'accent de l'airain», comme disait joliment son ami Jules Renard.
Jaurès le socialiste et Clemenceau le radical, c'est un peu Obélix et Astérix. Leur potion magique, c'est la politique, mais nul doute que c'est bien Jaurès qui est tombé dedans quand il était petit. Les effets sont chez lui permanents. D'une harangue, il envoie ses adversaires au tapis. Son fleuve emporte tout.
Gilles Candar et Vincent Duclert montrent combien il fut le grand homme d'Etat de juillet 1914. Ils corrigent l'image de ce journaliste métaphysicien et expliquent son socialisme universaliste par ses convictions philosophiques.
Jaurès conteste la version matérialiste du marxisme adoptée par Jules Guesde. Il lui oppose l'idéalisme et la justice dans laquelle il voit une force historique.
Elle se manifestera chez lui lors de son engagement en faveur du capitaine Dreyfus, auprès des mineurs dans la bataille de Carmaux ou dans son anticolonialisme renforcé après son voyage en Amérique latine en 1911.
De même, on voit bien ce qui a conduit le député de Carmaux à fonder «l'Humanité»: pour agir en politique.
La postérité l'a consacré par une place au Panthéon, des avenues et une station de métro. Les grands hommes sont souvent ennuyeux, c'est ce que s'emploient à faire croire les biographes. Gilles Candar et Vincent Duclert ont évité l'écueil tout en dépassant le mythe du «premier des assassinés» de 14-18.
Ils nous montrent un homme dans son temps, un homme qui n'aimait pas la guerre «criminelle si elle n'est pas manifestement défensive» sans être un pacifiste candide. Son ennemi était tout autre. «Le capitalisme porte en lui la guerre, comme la nuée porte l'orage.»
Dans son anthologie commentée, Bruno Fuligni nous livre la parole de ce tribun qui expliquait que le courage sans la conviction n'avait aucun sens et que tout devait passer par la dignité politique:
La formule peut encore servir au XXIe siècle...
Source : Laurent Lemire
Le 29 mars 1919, la cour d’assises de la Seine acquitte Raoul Villain, accusé de l’assassinat de Jean Jaurès, commis le 31 juillet 1914 au Café du Croissant, près des Grands Boulevards, à Paris. Comment les douze jurés ont-ils pu prendre cette décision, alors que Raoul Villain reconnaissait son crime, commis devant de nombreux témoins, allant même jusqu’à le revendiquer ? C’est ce que raconte en détail le journaliste Dominique Paganelli dans Il a tué Jaurès (La Table ronde, 213 pages)
Jean Jaurès, par Gilles Candar et Vincent Duclert, Fayard, 680 p., 29 euros.
Le Monde selon Jaurès, par Bruno Fuligni,
Tallandier, 220 p., 18,90 euros. En librairies le 27 février.
Jean Jaurès, Une vie pour changer le monde
1859-1914 - Une plongée inédite dans le monde, la vie et les combats de Jaurès, Un hors-série de L'Humanité (fondée par Jean jaurès) :
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