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Retraites : Histoire des régimes speciaux

Publié le par frico-racing

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Retraites : Histoire des régimes speciaux

Sans négliger le rôle des longues luttes pour la naissance du droit à la retraite ; les régimes spéciaux de retraite ne sont pas seulement le fruit des luttes syndicales... Ces "avantages" ont été pensés d'abord par l’État (1673), puis par des patrons au XIXe siècle pour fidéliser une main d'œuvre qualifiée et l'empêcher de partir à la concurrence.

Régimes spéciaux : les pionniers des retraites

Par Gérard Vindt

C’est parce que le pouvoir a tardé à mettre sur pied un régime général de retraite que se sont multipliés, dans le secteur public comme dans le privé, des régimes spécifiques.

En 1945, le régime général de la Sécurité sociale organise l’assurance vieillesse de tous les salariés du privé non agricole dans l’objectif de construire à terme un régime généralisé et unique (voir articles en annexe). Mais il est alors impossible d’aligner d’emblée le niveau des retraites des salariés du secteur privé sur celui que garantissent des régimes existant déjà dans divers secteurs 1.

Les fonctionnaires en premier

Ces régimes antérieurs se sont développés sur une base professionnelle, et d’abord en faveur de serviteurs de l’Etat régalien : dès 1673 pour les marins de la Royale et 1790 pour les militaires. En 1853, une loi réglemente la retraite par répartition des fonctionnaires : à 60 ans et après trente années de service et de cotisations s’élevant à 5 % du traitement, un fonctionnaire peut percevoir une pension d’un montant pouvant atteindre les trois quarts du traitement moyen des six dernières années.

D’autres salariés des administrations et entreprises publiques bénéficient au XIXe siècle d’un système de retraite : celles et ceux de la Poste, de l’Opéra de Paris (1856), les personnels civils des établissements militaires, ceux de la Banque de France ou des Manufactures des tabacs et allumettes (1897). Quelques municipalités fondent également leur propre caisse pour leurs employés : on en compte 130 en 1891. Certaines professions, comme les clercs de notaire, mettent sur pied leur propre régime, tout comme des professions libérales, les commerçants, etc.

Dans le privé, certaines entreprises mettent en place des systèmes de pension pour stabiliser la main-d’œuvre qualifiée.

Dans le privé aussi, certaines entreprises mettent en place des systèmes de pension dans la métallurgie, le textile, la chimie, la verrerie, pour environ 100 000 salariés en 1895. Pourquoi cette mansuétude ? Pour stabiliser la main-d’œuvre qualifiée. Parmi les entreprises privées considérées d’intérêt général et dont les pouvoirs publics se préoccupent parti­culièrement, la Compagnie parisienne d’éclairage et de chauffage par le gaz crée en 1859 une caisse de retraite pour ses employés et une autre en 1893 pour ses ouvriers. C’est le cas aussi des mines, dont les patrons ont souvent mis en place des caisses de retraite, une loi de 1894 unifiant tous ces systèmes.

Et puis, il y a les chemins de fer. Jusqu’en 1937. Ils sont aux mains de compagnies privées concessionnaires qui ont fondé des caisses de secours et de retraite pour leurs personnels dès leur création, là encore pour fidéliser une main-d’œuvre qu’elles forment elles-mêmes. Elles sont d’abord réservées aux employés et aux cadres, mais la loi du 27 décembre 1890 oblige à inclure les ouvriers, celle de 1909 unifie tous les régimes et impose notamment aux compagnies de servir des pensions égales au 1/50e du traitement moyen des six meilleures années de la carrière par année de cotisation (soit, par exemple, 60 % de ce traitement pour trente ans de cotisation), avec réversibilité de moitié au profit de la veuve. L’âge à partir duquel la pension peut être attribuée est fixé à 50 ans pour les agents de conduite des locomotives, 60 ans pour les administratifs et 55 ans pour les autres catégories de personnel. Différentes modifications interviennent par la suite, dont la principale est d’introduire un système de répartition en 1934.

Lors de la nationalisation des compagnies – en grande difficulté financière – et leur regroupement le 31 août 1937 dans la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), toutes les caisses de retraite sont réunies en une seule, subventionnée par l’Etat. La cotisation s’élève à 5 % du salaire, l’âge de départ est fixé entre 50 et 55 ans, après vingt-cinq ans de service. En 1939, 440 800 salariés de la SNCF cotisent et 255 000 touchent une retraite2.

Vers un système général

Dès les années 1880, la question de la mise sur pied d’un système général est posée. Elle aboutit seulement en 1910 avec la loi sur les retraites ouvrières et paysannes. Celle-ci, censée bénéficier à 18 millions de personnes, n’en touchera que 2,5 millions. En cause, l’abandon rapide de la cotisation obligatoire sous la pression, d’un côté, du patronat, qui veut garder la haute main sur toutes ses « œuvres sociales », de l’autre, de la CGT, qui s’oppose à l’obligation de cotisation qui réduit les salaires, une « loi pour les morts »… Le niveau de pension versée sera très modeste3.

Pendant les Trente Glorieuses, la question des régimes de retraite dits désormais « spéciaux » ne fait guère débat

La deuxième tentative date de 1930, avec la loi sur les assurances sociales. Le système mis en place est complexe, par capitalisation de cotisations salariales et patronales gérées par des caisses départementales aux mains des mutuelles, des syndicats salariés et patronaux, avec des niveaux de pensions toujours très modestes. En 1945-1946 enfin, la mise sur pied de la Sécurité sociale pour tous concerne aussi les retraites. Mais les régimes existants, plus avantageux, en particulier celui des cheminots, sont maintenus, conçus par les syndicats comme un horizon à atteindre par le régime général.

Au début des Trente Glorieuses, en 1953, lorsque, pour combattre l’inflation et comprimer les dépenses de l’Etat, le gouvernement de Joseph Laniel veut s’en prendre aux pensions des fonctionnaires et des agents des services publics, il provoque en plein mois d’août la plus grande vague de grèves que la France ait connue entre 1936 et 1968. Il renoncera finalement à appliquer ses décrets.

Puis, pendant les Trente Glorieuses, la question des régimes de retraite dits désormais « spéciaux » ne fait guère débat, d’autant que la gauche est porteuse d’un progrès pour le régime général, qui sera acté par l’ordonnance du 26 mars 1982 : celui de la retraite à 60 ans à taux plein (50 % du salaire annuel moyen des dix meilleures années) pour qui a cotisé 37,5 ans. C’était au siècle dernier…

  • 1. Pour les non-salariés, la loi de 1948 crée trois organisations autonomes d’assurance vieillesse : artisans, industriels et commerçants, professions libérales. Pour les agriculteurs, la caisse de retraite est gérée par la Mutualité sociale agricole.
  • 2. La démographie deviendra rapidement défavorable. Dès 1960, il y a 405 700 retraités pour 341 000 cotisants. Et en 2019, 251 344 pensionnés pour 139 603 cotisants : compressions et vieillissement du personnel sont à l’œuvre.
  • 3. Voir « 1910, l’invention de la retraite », Alternatives Economiques n° 297

Sources : https://www.alternatives-economiques.fr/

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